Dès son premier jour au pouvoir, le président américain Donald Trump a menacé d’imposer des tarifs douaniers de 25 % sur les marchandises en provenance du Canada et du Mexique à compter du 1er février. La résurgence des tarifs douaniers comme pierre angulaire de la politique commerciale des États-Unis souligne l’importance de l’interdépendance économique mondiale. Pour les Canadiens, les conséquences des tarifs douaniers américains sont particulièrement importantes, compte tenu de l’ampleur de nos liens économiques avec les États-Unis. Selon le gouvernement du Canada, en 2023, le Canada a fait 72,3 % de ses échanges commerciaux et 77,2 % de ses exportations de biens avec les États-Unis.i Cet extraordinaire niveau d’intégration rend tout changement dans la politique commerciale des États-Unis une préoccupation immédiate pour les entreprises, les consommateurs et les investisseurs canadiens.
Régimes tarifaires et exposition du Canada
Les tarifs douaniers constituent essentiellement des taxes qu’un pays impose sur les biens importés, sous la forme d’un montant fixe ou d’un pourcentage de la valeur du bien. Bien qu’ils visent à protéger les industries nationales ou à réduire les déficits commerciaux, les tarifs douaniers peuvent souvent avoir des conséquences économiques complexes et imprévues. Pour le Canada, les enjeux sont élevés, compte tenu de notre dépendance au marché américain comme destination d’exportation pour tout, du pétrole brut aux pièces automobiles.
Les scénarios potentiels quant aux tarifs douaniers américains pourraient varier en intensité – allant de tarifs universels de 10 % sur les importations jusqu’à des mesures ciblées, comme des tarifs de 25 % exclusivement sur les biens canadiens. Chaque scénario aurait différentes répercussions sur l’économie :
- Tarifs universels : Des tarifs de 10 % appliqués à l’échelle mondiale feraient grimper les coûts pour les importateurs américains, ce qui pourrait peser sur la demande de biens canadiens. Toutefois, compte tenu de la récente dépréciation du dollar canadien par rapport au dollar américain, le désavantage concurrentiel pourrait être partiellement contrebalancé.
- Tarifs canadiens ciblés : Des tarifs de 25 % uniquement sur les produits canadiens représenteraient un défi beaucoup plus important. L’incapacité de rediriger une partie aussi importante des exportations pourrait retrancher jusqu’à 3 % du produit intérieur brut (PIB) du Canada, le plongeant en récession.
Répercussions économiques au Canada
Les tarifs douaniers perturbent les chaînes d’approvisionnement, érodent la compétitivité et font grimper les coûts. Les secteurs canadiens les plus exposés aux tarifs douaniers américains comprennent les suivants :
- Énergie : Les États-Unis dépendent considérablement du pétrole brut canadien, qui représente le tiers des exportations canadiennes vers les États-Unis. Les tarifs douaniers pourraient initialement entraîner une volatilité des prix. Toutefois, la nature hautement intégrée des marchés nord-américains de l’énergie limite les options de substitution. De plus, comme le prix plancher assurant la rentabilité des nouveaux puits dans les principales régions productrices de pétrole aux États-Unis se situe entre 60 $ et 70 $ le baril, les prix du pétrole n’auraient pas à chuter bien en deçà des niveaux actuels (environ 75 $ le baril pour le pétrole West Texas Intermediate) avant que l’exploitation de certains de ces nouveaux puits plus coûteux tombe sous le seuil de la rentabilité. Ce serait un coup dur pour les aspirations évidentes de M. Trump d’exploiter les ressources pétrolières encore plus coûteuses de l’Alaska.
- Automobile : Les exportations automobiles du Canada dépendent du fonctionnement harmonieux entre les chaînes d’approvisionnement transfrontalières. Les tarifs douaniers augmenteraient les coûts de production et plomberaient la demande, ce qui nuirait à la compétitivité du secteur dans les deux pays.
- Agriculture : Les mesures tarifaires de représailles pourraient nuire à la demande d’exportations agricoles canadiennes, en particulier les marchandises comme les produits laitiers, pour lesquels les tensions commerciales existantes sont bien documentées.
Répercussions plus larges sur les consommateurs et les entreprises
Les effets inflationnistes des tarifs s’étendent au-delà des exportateurs. Les entreprises canadiennes qui importent des biens américains devraient assumer des coûts plus élevés en raison des tarifs douaniers canadiens sur les biens américains et de la dépréciation du dollar canadien, et elles pourraient répercuter ces coûts sur les consommateurs. Cela accentuerait la pression sur le budget des ménages, qui est déjà miné par l’inflation. Les entreprises qui dépendent des intrants américains pourraient devoir réévaluer leurs stratégies de chaîne d’approvisionnement, ce qui accélérerait la tendance à la diversification des relations commerciales.
De plus, les mesures de représailles du Canada pourraient exacerber ces difficultés. Dans un dossier antérieur, pendant le premier mandat présidentiel de M. Trump, le Canada a ciblé des secteurs américains sensibles sur le plan politique en réponse aux tarifs douaniers, comme le jus d’orange de la Floride et le bourbon du Kentucky, ce qui a créé des difficultés économiques des deux côtés de la frontière.
Réponses stratégiques du Canada
Même si les tarifs douaniers peuvent poser des défis importants, ils soulignent également l’importance de la capacité d’adaptation. Le Canada peut mettre en œuvre plusieurs stratégies pour atténuer les risques :
- Diversification des relations commerciales : L’élargissement de l’accès aux marchés mondiaux au moyen d’accords, comme l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) et l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne, peut réduire la dépendance au commerce avec les États-Unis.
- Amélioration des capacités intérieures : Les investissements dans le secteur manufacturier et les infrastructures peuvent renforcer la résilience du Canada face aux chocs externes. Toutefois, cette option pourrait prendre des années à produire ses effets efficacement.
- Négociation d’exemptions sectorielles : Compte tenu de la nature intégrée de certains secteurs, des exemptions sectorielles pourraient réduire l’incidence des tarifs douaniers sur les exportations de l’énergie et de l’automobile.
Scénario et conséquences probables
Compte tenu de la rhétorique actuelle et des mesures politiques passées, le scénario le plus probable serait que les États-Unis imposent des tarifs universels de 10 %, y compris sur les biens canadiens. Bien que cette mesure soit moins sévère que des tarifs ciblés de 25 %, elle n’est pas sans conséquences. Nous estimons que des tarifs de 10 % feraient stagner les exportations canadiennes de biens aux États-Unis, ce qui réduirait notre PIB de 1 % en raison de la baisse de la demande et des effets secondaires sur les investissements et la consommation.
Heureusement, plusieurs facteurs atténuants préviendraient probablement une récession dans ce scénario. La dépréciation de 6 % du dollar canadien par rapport au dollar américain a déjà amélioré la compétitivité, compensant partiellement les répercussions tarifaires. De plus, la demande américaine pour les plus importantes exportations du Canada – les produits énergétiques – est relativement inélastique, ce qui procure de la stabilité dans ce secteur essentiel. Nous prévoyons toutefois que la croissance du PIB restera modeste, étant donné la faible possibilité que les produits canadiens soient immédiatement remplacés par ceux de producteurs américains fonctionnant à plein rendement.
Un scénario plus extrême – des tarifs de 25 % ne ciblant que le Canada – aurait des répercussions importantes, réduisant probablement le PIB de 3 % et déclenchant une récession. Une telle mesure entraînerait une dépréciation plus marquée du huard, ce qui augmenterait le coût des importations et pèserait lourdement sur les investissements et la consommation. Bien que cette avenue soit moins probable, elle souligne l’importance d’une vigilance soutenue et de mesures politiques proactives.
Contexte historique et politique
La politique commerciale qui donne la priorité aux États-Unis est un thème récurrent de la politique américaine, les tarifs douaniers étant utilisés à la fois comme générateurs de revenu et éléments de négociation des objectifs de politique étrangère. Dans l’état actuel des choses, le Canada et les États-Unis n’échangeront certainement pas de bracelets d’amitié de sitôt. Au Canada, les menaces récentes ont lié l’imposition de tarifs douaniers à des questions comme la sécurité frontalière, l’immigration et les dépenses militaires. Par exemple, lors des négociations précédentes sur les tarifs douaniers, le secteur laitier et les exportations d’énergie du Canada étaient dans la mire des Américains.
Le contexte politique dans son ensemble est également important. Les politiques américaines qui accentuent le nationalisme économique ont souvent des répercussions à l’échelle mondiale, ce qui incite les partenaires commerciaux comme le Canada à ajuster leurs politiques et leurs stratégies commerciales nationales. De plus, l’incertitude entourant la permanence des tarifs douaniers rend la planification à long terme de plus en plus difficile pour les entreprises et les gouvernements.
Considérations relatives aux placements
Pour les investisseurs, les tarifs douaniers américains peuvent présenter à la fois des risques et des occasions. La volatilité boursière à court terme pourrait peser sur les secteurs fortement exposés au commerce avec les États-Unis. Toutefois, les tarifs douaniers peuvent également créer des occasions dans des secteurs moins exposés ou des catégories d’actifs alternatifs :
- Marchandises : Les pressions inflationnistes liées aux tarifs font des marchandises une couverture intéressante.
- Portefeuilles diversifiés : Une pondération plus importante en actions internationales ou en stratégies multi-actifs peut atténuer les risques commerciaux régionaux.
- Devise : Comme le huard risque encore de se déprécier selon les scénarios de tarification importante, l’exposition au dollar américain pourrait protéger les rendements des placements libellés en dollars américains.
Perspectives et considérations à long terme
Pour composer avec l’incertitude économique créée par la menace des tarifs douaniers américains, il faut adopter une approche réfléchie et équilibrée. Même si des risques persistent, nous croyons que les investisseurs peuvent trouver des occasions de protéger et de faire fructifier leurs portefeuilles grâce à la diversification et au positionnement stratégique. Voici quelques-uns des principaux thèmes qui façonnent nos perspectives de placement :
- Vigueur des actions américaines : Même si nous prévoyons de la volatilité, les actions américaines, en particulier celles des secteurs axés sur l’intelligence artificielle et des technologies de l’information, devraient continuer de surpasser le marché en 2025. Les évaluations élevées dans ces secteurs soulignent l’importance d’une exposition sélective et d’une gestion active.
- Diversification mondiale : Les actions et les placements alternatifs hors États-Unis offrent une valeur intéressante aux investisseurs prêts à voir au-delà des difficultés immédiates. Des régions comme l’Inde, Taïwan et la Corée du Sud sont bien placées pour profiter de l’évolution de la dynamique commerciale et des progrès technologiques.
- Occasions en titres à revenu fixe : Comme les taux d’intérêt devraient fléchir, les titres à revenu fixe de grande qualité pourraient offrir stabilité et revenu dans un contexte d’incertitude.
Nous voyons également de la valeur dans les stratégies non traditionnelles, comme les actifs privés et les placements alternatifs, qui peuvent atténuer les risques extrêmes et améliorer la résilience d’un portefeuille. La réalisation de leurs avantages potentiels nécessite toutefois une sélection minutieuse et un engagement à long terme.
Conclusion
Bien que les tarifs douaniers américains représentent un défi clair et actuel pour le Canada et les investisseurs, ils soulignent également la résilience des stratégies de placement diversifiées. En se concentrant sur leurs objectifs à long terme et en s’adaptant à l’évolution des conditions du marché, les investisseurs peuvent composer avec l’incertitude en toute confiance. Vendre tous vos placements et passer entièrement aux liquidités peut sembler une stratégie sûre en période d’incertitude, mais cela coûte souvent cher. Les liquidités procurent certes une sécurité, mais elles exposent aussi les investisseurs au risque d’inflation, qui érode leur pouvoir d’achat au fil du temps, surtout dans un contexte de faibles taux d’intérêt. De plus, il est notoirement difficile, même pour les investisseurs chevronnés, de prévoir l’évolution des marchés, c’est-à-dire de savoir quand se retirer et quand réinvestir. En restant sur la touche, les investisseurs risquent de rater les rebonds du marché, qui génèrent souvent les gains les plus importants sur de courtes périodes. Une approche de placement diversifiée à long terme est généralement plus efficace pour composer avec la volatilité tout en profitant des occasions de croissance.
Le contexte économique mondial de 2025 est façonné par les risques et les occasions. Bien qu’ils soient perturbateurs, les tarifs douaniers soulignent l’importance de la planification stratégique et d’une gestion de portefeuille rigoureuse. Dans l’avenir, notre priorité demeure d’aider les investisseurs à prendre des décisions éclairées qui établissent un équilibre entre le risque et le rendement, en tirant parti des occasions dans les actions, les titres à revenu fixe et les stratégies alternatives. En adoptant une approche proactive, les investisseurs canadiens peuvent résister à la volatilité causée par les tarifs douaniers et se positionner en vue d’un avenir meilleur.
Source:
[1] Government of Canada. (2024) State of Trade 2024: Supply chains. Retrieved from https://www.international.gc.ca/transparency-transparence/state-trade-commerce-international/2024.aspx?